La Croix 11 novembre 2022
Mgr Blanchet relit l’affaire Santier : « J’étais dans une posture intenable »
Entretien Recueilli par Céline Hoyeau et Arnaud Bevilacqua,
Exclusif. Après une Assemblée des évêques bouleversée par les révélations concernant Mgr Michel Santier et le cardinal Jean-Pierre Ricard, Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil, s’explique sur la gestion du cas de son prédécesseur.
La Croix : Vous avez pris le temps, durant l’Assemblée à Lourdes, de vous interroger
entre évêques et de relire la chronologie de la gestion des abus commis par Mgr Michel
Santier afin de comprendre ce qui s’est passé. Au moment de votre nomination à sa
suite à Créteil, que saviez-vous de sa situation ?
Mgr D. B. : Je suis nommé publiquement le 9 janvier 2021, mais c’est en décembre 2020,
après que j’ai donné ma réponse positive à l’appel du pape, que le nonce évoque avec
moi plusieurs sujets du diocèse dont la procédure canonique concernant Michel Santier,
me donnant des informations sur ce qui lui est reproché.
Avant, vous ignoriez cette procédure, bien que vice-président de la Conférence des
évêques de France ?
Mgr D. B. : J’avais entendu qu’il avait été mis en cause par quelqu’un. Mais entre le fait
d’être mis en cause, d’être l’objet d’une procédure ou d’avoir reconnu des faits, il y a une
différence. Alors évêque de Belfort-Montbéliard, je n’ai pas à intervenir dans ce dossier
et n’imagine pas du tout de quoi il s’agit. Comme Mgr Éric de Moulins-Beaufort l’a redit
lors de sa conférence de presse, la présidence de la CEF ne dirige pas les évêques français,
elle « n’est pas partie prenante de la procédure ».
Après votre arrivée à Créteil, avez-vous échangé avec lui ?
Mgr D. B. : Oui, en janvier 2021. Je lui pose la question sur les faits, qu’il reconnaît sur
deux personnes victimes. Mais je n’imagine pas qu’il y en ait d’autres…
Pourquoi l’avez-vous cru ?
Mgr D. B. : C’est le reproche que je me fais. C’est dur à dire. Sans doute parce que c’est
un frère évêque, un compagnon de travail. La question des évêques mis en cause a été
un angle mort de notre Assemblée de novembre 2021 – comme du rapport de la Ciase.
Et puis je sais à l’époque qu’il est en train de faire la vérité avec les instances du SaintSiège, aussi je n’imagine pas qu’il puisse ne pas dire la vérité à tous les niveaux – je ne
dirais pas qu’il a menti, mais je préfère dire qu’il n’a pas dit la vérité, il y a une
problématique de déni… Je reconnais une forme de naïveté de ma part.
J’aurais pu être plus proactif par la suite, quand les sanctions ont été prises en octobre
2021, réagir et interroger le fait qu’elles n’étaient pas publiques. Je ne l’ai pas fait. C’est
l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé, à Lourdes, d’un conseil de suivi des
procédures. Pour permettre une altérité. Car nous pensons qu’il n’est pas ajusté de régler
ces questions dans un entre-soi épiscopal.
Le silence sur ces mesures était-il imposé par Rome ?
Mgr D. B. : La publication des mesures dans le droit canon, comme dans la justice
française, représente une peine complémentaire. Dans la mesure où elle n’est pas
prononcée, on ne le fait pas. Et en même temps, il nous faut intégrer aujourd’hui que la
publication des mesures peut aider d’autres personnes victimes à prendre la parole.
Je pense vraiment que la transparence en tout n’est pas bonne, parce qu’il y a un droit
des personnes mises en cause à respecter. L’Église pourrait étudier la possibilité dans
certaines situations de publier par défaut la sentence. Notamment lorsqu’il y a abus
sexuels.
Pour faire venir d’autres victimes…
Mgr D. B. : Oui, principalement. Pour aider les éventuelles autres personnes victimes à
parler. Mais aussi parce que nous avons senti dans cette affaire, à travers la colère qui
s’est exprimée, qu’il y a une autre victime collatérale : la communauté ecclésiale. C’est
aussi une leçon de cette affaire, les évêques ou le Saint-Siège ne peuvent plus se dire,
dans l’entre-soi, que le peuple de Dieu ne peut pas recevoir ce type de révélations.
Regrettez-vous que Mgr Santier ait été présent pour votre installation le 28 février 2021
?
Mgr D. B. : Une fête pour son départ était prévue fin janvier 2021. J’avais demandé qu’elle
n’ait pas lieu. C’est moi qui ai convenu que le remerciement se ferait à la fin de
l’installation. Le diocèse a en fait subi un grand malentendu jusqu’à la révélation des
faits… Car les catholiques de Créteil témoignaient alors d’une profonde reconnaissance
envers leur ancien évêque, sans connaître ces faits.
N’aurait-on pas pu dire, au moins, qu’il y avait un problème le concernant ?
Mgr D. B. : Il aurait dû lui-même dire les raisons de sa démission le 6 juin 2020. Un
administrateur apostolique aurait alors dû être nommé. Relire cette histoire nous aide
pour l’avenir. Il ne s’agit pas de trouver un coupable mais globalement d’identifier des
dysfonctionnements pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir.
Pourquoi l’avoir invité encore à la messe chrismale, en 2022 ?
Mgr D. B. : Dans le diocèse, on commençait à me trouver très ingrat vis-à-vis de mon
prédécesseur. À la relecture aujourd’hui, j’étais en fait dans une posture intenable. Ici, la
messe chrismale est un événement auquel les évêques émérites sont conviés. Ce n’est
pas de la duplicité de ma part.
Je pensais que c’était une bonne occasion pour lui de mettre un point final en étant
présent à ce moment de la vie du diocèse, sans être au centre. Mais je comprends
aujourd’hui qu’il est insupportable, pour les catholiques, de voir un prêtre ayant commis
des abus célébrer des sacrements. C’est le sens des mesures que nous avons votées en
Assemblée plénière.
Vous-même, avez-vous pensé démissionner ?
Mgr D. B. : Comme pasteur, ma responsabilité n’est pas de démissionner face à un
problème mais plutôt de travailler à le résoudre. À travers la colère du peuple de Dieu, le
Seigneur m’a fait des reproches, il nous a fait des reproches. J’ai médité ce passage de la
Lettre aux Hébreux (12,5) : « Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur et ne te
décourage pas quand il te fait des reproches. » C’est ma posture.
En Assemblée, nous avons reçu cette affaire comme une leçon du Seigneur lui-même.
Cette Assemblée a été rude, effectivement, mais elle est habitée d’une certaine
espérance. Si, à première vue, une incohérence peut se faire jour entre notre démarche
authentique de l’an dernier et celle de cette année, je parlerais plutôt d’un deuxième pas,
advenu dans la douleur, mais avec la même détermination. D’autres mesures viendront
enrichir encore notre dispositif.